Voyage gourmand dans le passé : les produits locaux de la Gironde d'autrefois

1 septembre 2025

De la terre aux assiettes : céréales, légumineuses et légumes oubliés

Avant que la pomme de terre ne conquière les terres bordelaises (son arrivée généralisée date du XIXe siècle), la base de l’alimentation girondine reposait principalement sur les céréales et quelques légumes locaux.

  • Le millet et le seigle : Très présents au Moyen Âge et jusqu’au XVIII siècle, le millet et le seigle étaient plus résistants que le blé aux conditions humides de la Gironde. Ils étaient moulus en farine pour confectionner des galettes ou du pain à la mie foncée, appelé « pan de mesture » (pain de mélange).
  • Maïs et fèves : Le maïs (appelé "blé d’Inde") fait une grande percée à partir du XVIII siècle, tandis que les fèves sèches étaient omniprésentes dans les soupes paysannes. Ces légumineuses, souvent associées au lard ou à la graisse d’oie, composaient des repas roboratifs.
  • Choux, navets, panais : Bien avant le succès des haricots ou de la tomate, souvent absents des potagers moyenâgeux, les légumes fortement implantés étaient les variétés rustiques telles que les choux, les navets, les panais ou encore le salsifis. Leur culture s’adaptait parfaitement aux terres marécageuses de certaines parties de la Gironde.

Une anecdote à souligner : jusqu’à la Révolution, la soupe dite « garbure » (constituée de choux, de légumes secs et de morceaux de viande selon les moyens) était un pilier des tables familiales, témoignant d’une cuisine simple, collective et nourrissante (source : Sud Ouest).

Bassin et estuaire : la richesse des rivières et de l’Atlantique

Étroitement liés à leur environnement, les Girondins tiraient des fleuves et de l’océan une grande partie de leur alimentation protéinée. En font foi les nombreux récits d’époque relatant l’incroyable abondance des poissons et coquillages locaux.

  • La lamproie : Véritable patrimoine girondin, la lamproie, pêchée principalement dans la Garonne et la Dordogne, était appréciée dès l’Antiquité romaine. Préparée à la bordelaise, mijotée dans le vin rouge, elle constituait un met recherché, parfois réservé aux grandes occasions.
  • L’esturgeon : La Gironde abritait autrefois de véritables « rivières d'esturgeons » selon Gustave Guilliermond. Non seulement sa chair était consommée fraîche, mais ses œufs donnaient un caviar renommé, produit à grande échelle jusqu’au milieu du XX siècle (France Bleu).
  • L’alose et les pibales : L’alose, poisson migrateur, était fêtée à la belle saison ; les pibales (alevins d’anguille), quant à elles, ont longtemps constitué un mets abordable et populaire. Aujourd’hui, les pibales sont devenues rares et précieuses, souvent inaccessibles au grand public.
  • Les huîtres du bassin d’Arcachon : La conchyliculture existait déjà sous la forme de cueillettes sauvages dès l’époque gauloise avant de se structurer au XIX siècle. Les huîtres plates sauvages (Ostrea edulis) étaient consommées par toutes les classes sociales (source : Bassin-Arcachon.com).

Dans la tradition bordelaise, si l’on observait une abondance, c’était surtout lors des périodes de crues, quand les poissons affluaient dans les bras morts et les marais adjacents. Les marchés regorgeaient alors de vifs (petits poissons d’eau douce), anguilles, et écrevisses, notamment à Bordeaux où le quai des Chartrons était un centre de distribution majeur.

Au royaume du vin et de la vigne : plus qu’une boisson, une ressource

Difficile d’évoquer la Gironde sans aborder son emblème vigneron. Mais le vin d’autrefois était-il le vin raffiné et exporté mondialement que l’on connaît aujourd’hui ? Oui… et non !

  • Le clairet, ancêtre du Bordeaux rouge : Jusqu’au XVII siècle, le vin apprécié localement était souvent beaucoup plus clair que celui d’aujourd’hui. Appelé « claret » par les Anglais, il était exporté dès le Moyen Âge vers l’Angleterre, et servait aussi de base pour diverses sauces et marinades locales.
  • Le vin dans la cuisine : Il entrait couramment dans la préparation de potages, ragoûts, voire de desserts. Le célèbre « vin de noix » (vin aromatisé à la noix verte, typique du Sud-Ouest) était déjà connu.
  • La bourru : Boisson typique de l’automne, la « bourru » désigne le vin nouveau à peine fermenté, apprécié pour sa douceur et sa fraîcheur, bu lors des vendanges ou des foires villageoises.

Anecdote : Bordeaux était déjà réputé au Moyen-Âge pour la qualité de ses vins… à tel point que le roi Henri II d’Angleterre décida d’y marier sa fille, Aliénor d’Aquitaine, alliant ainsi amour, stratégie politique… et bon vin !(Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux).

Viandes et volailles des campagnes girondines : éleveurs et marchés

La province de Bordeaux regorgeait de petites exploitations où la viande, bien que consommée avec parcimonie par les classes populaires, rythmait néanmoins les grands événements, foires et fêtes du calendrier.

  • Oie, canard, cochon : Grands incontournables, ils fournissaient non seulement de la viande, mais surtout de la graisse, précieuse pour la cuisson des plats quotidiens (confit, rillons, rillettes). La graisse d’oie tenait d’ailleurs une place de choix, plus encore que le beurre, peu utilisé dans le Sud-Ouest.
  • Poulet cou nu et pintade fermière : Deux volailles emblématiques, produites dans le Blayais et le Bazadais, souvent présentes lors des repas dominicaux.
  • Le fameux bœuf de Bazas : Déjà reconnu lors des grandes foires médiévales, il était réservé aux jours fastes. Cette viande était rôtie à la broche lors des fêtes ou transformée en « entrecôte à la bordelaise », fameuse pour sa sauce au vin et à la moelle.

Notons que la chasse fournissait ponctuellement du gibier, notamment le palombe (pigeon ramier) très apprécié (source : Le Bazadais). Les charcuteries maison – boudins, pâtés, saucissons – faisaient partie de la « tuerie du cochon » annuelle, événement festif dans les villages girondins.

Desserts d’époque, douceurs et spécialités sucrées locales

Le sucre, longtemps denrée de luxe, n’était pas omniprésent dans la cuisine girondine avant le XVIII siècle. Les douceurs locales étaient donc, le plus souvent, à base de fruits ou de miel.

  • Le canelé : Si sa recette actuelle apparaît au XIX siècle, il existait déjà des « flans de farine de froment et blancs d'œufs » dans les couvents bordelais, qui préfiguraient la star actuelle. Quant à la croûte caramélisée qui fait le succès du canelé aujourd’hui, elle doit son origine à l’introduction du sucre de canne en provenance des Antilles via le port de Bordeaux (source : France 3 Régions).
  • Les fruits de la région : Pêches du vignoble, prunes de Sainte-Foy-la-Grande, figues, noix et marrons étaient très courants lors des collations et en accompagnement de fromages de chèvre locaux.
  • Pastis landais et tourtière : Simples mais goûteuses, ces pâtisseries fourrées de fruits séchés, de pruneaux ou imbibées de petite eau de vie, se partageaient lors des fêtes villageoises, notamment dans l’Entre-deux-Mers.

Pour les plus modestes, il existait aussi la galette « rustique » au maïs, souvent cuite au feu de bois, dégustée simplement avec un peu de miel ou de confiture.

Commerce, influences et parenthèses exotiques : le port de Bordeaux, carrefour alimentaire

Le passé portuaire de Bordeaux est indissociable de la diversité des produits locaux. A la faveur du commerce triangulaire dès le XVII siècle puis de l’ouverture européenne, de nouvelles denrées firent leur apparition.

  • La morue séchée : Venue d’Islande et de Terre-Neuve, la morue salée est adoptée par les Girondins dès le début du XVI siècle. Entrepris pour des raisons religieuses (consommation autorisée lors des jours maigres), le commerce de la morue a marqué la culture culinaire locale, introduisant le fameux « grenier à sel » de Bordeaux (source : Bordeaux Tourisme).
  • Le cacao et les épices : Le poivre, le safran, le clou de girofle ou la cannelle égayaient déjà les tables aisées dès le XVIII siècle. Le cacao, arrivé grâce aux échanges avec les Antilles, permit la naissance des premiers chocolatiers dans la région dès 1776 ; une société bordelaise fut même la première en France à fabriquer du chocolat pour la Marine.
  • Les influences anglaises et gasconnes : Entre Agenais et pays gascon, la Gironde se nourrissait, jusque dans ses spécialités de pâtés et de tourtières, des recettes importées par les cousins proches ou lointains. L’influence anglaise transparaissait dans quelques recettes de puddings, autrefois servis dans les familles aisées bordelaises.

À la découverte du goût d’antan : pourquoi s’intéresser à ces produits aujourd’hui ?

Redécouvrir les produits locaux de la Gironde d’autrefois, c’est rendre hommage à une cuisine de transmission, où savoirs et ressources étaient partagés et adaptés à la nature environnante. C’est aussi s’inspirer d’une incroyable variété végétale et animale pour repenser nos assiettes, dans une démarche de terroir et de saison.

Quelques marchés, producteurs, ou chefs s’emploient aujourd’hui à remettre sur le devant de la scène ces saveurs oubliées : légumes anciens, recettes de lamproie à la bordelaise, canards confits dans la graisse, ou encore pains bis comme on les aimait il y a 200 ans. Plusieurs musées et manifestations rendent d’ailleurs hommage à ce patrimoine, comme la « Fête de la Lamproie » à Sainte-Terre ou le musée de la Vigne et du Vin, à Pauillac.

  • Sur les étals des marchés fermiers de Créon, de Bazas ou de Sainte-Foy-la-Grande, retrouvez régulièrement des légumes anciens, des pains rustiques, ou interrogez les producteurs sur l’histoire de leurs produits
  • De nombreux restaurants et bistrots traditionnels proposent des plats revisités à partir de recettes anciennes : demandez la provenance des ingrédients et laissez-vous surprendre
  • Lire pour aller plus loin : L’ouvrage de Rémi Mogenet, « Cuisine et produits du terroir en Aquitaine », éditions Ouest-France, offre une plongée foisonnante dans les vivres d’autrefois

Si la modernité a fait évoluer les palais et bousculé quelques traditions, le patrimoine culinaire girondin, solide et inventif, continue plus que jamais à inspirer celles et ceux qui cherchent à (re)découvrir la richesse des produits locaux. La Gironde, gourmande aujourd’hui, l’était déjà hier – à sa façon, simple, riche et profondément attachée au goût de la terre et de l’eau.

En savoir plus à ce sujet :