Voyage à travers l’histoire culinaire de Bordeaux et de la Gironde : repères, influences, et secrets gourmands

8 octobre 2025

Aux origines : influences médiévales et premiers marchés bordelais

Bordeaux prend racine dès l’époque romaine, mais c’est au Moyen Âge que la ville se fait une réputation d’opulence, attisée par sa position stratégique sur la Garonne et son port marchand. Dès le XIIIe siècle, le vin s’exporte massivement vers l’Angleterre grâce au mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri II Plantagenêt : un chapitre qui ancre durablement le négoce du vin dans la tradition régionale (Source : La Cité du Vin).

Côté recettes, l’époque est marquée par :

  • L’usage du pain d’épices au miel de Gascogne, souvent utilisé pour épaissir les sauces.
  • L’émiettement de poissons de rivière (lamproie, alose…), cuits dans le vin.
  • Des épices importées via le port, notamment le poivre, le gingembre, le safran et la cannelle.

Les premiers marchés de Bordeaux voient le jour, dont celui des Capucins, fondé au XVIIIe siècle mais issu d’une tradition plus ancienne, vitale pour approvisionner boucheries, poissonneries et auberges.

La Renaissance et l’ouverture au monde : échanges florissants et premiers traités culinaires

À partir du XVIe siècle, grâce à la prospérité commerciale, Bordeaux s’ouvre à l’influence espagnole et occitane, qui enrichissent ses recettes. Le sucre des îles arrive dans les cargaisons et bouleverse la pâtisserie locale, donnant naissance à une tradition sucrée inédite.

  • Le canelé, à base de jaune d’œuf, sucre et rhum, est né d’une légende locale : les religieuses du couvent des Annonciades auraient récupéré les jaunes non utilisés par les vignerons (employés comme clarifiant pour le vin).
  • Les farcis, à base de pain, œuf et herbes, deviennent populaires grâce à l’abondance des potagers et des vergers.
  • Premiers livres de cuisine « bordelais » apparaissent, à l’image du « Livre fort excellent de cuysine » (1542), témoignant de la codification des mets et des banquets de la bourgeoisie.

Le port de Bordeaux est également une porte d’entrée pour la morue salée, importée massivement par les échanges avec Terre-Neuve, un produit longtemps incontournable sur les tables girondines.

Le XVIIIe siècle, apogée du vin et rayonnement des spécialités du terroir

Le siècle des Lumières est synonyme de prospérité. Bordeaux s’impose alors comme la capitale mondiale du négoce du vin, dont les écrits de Montesquieu et Joseph-Ignace Guillotin font l’éloge. En 1855, le fameux classement des vins du Médoc et des Graves distingue officiellement les crus, imposant l’excellence « à la bordelaise » à l’international. Les effets sur la gastronomie sont multiples :

  • Essor des restaurants et auberges accueillant négociants et voyageurs, notamment dans le quartier des Chartrons.
  • Développement des mets en sauce, souvent à base de vins du pays : la lamproie à la bordelaise, emblématique, puise ici sa recette actuelle.
  • Naissance du grenier médocain (charcuterie à base de panse et d’estomac de porc) sur le port de Pauillac.
  • Émergence d’une nouvelle bourgeoisie qui raffine ses plats, inventant des desserts comme le millasson, flan à base de maïs et de vanille.

Le marché des Capucins s’étend et devient le poumon gourmand de Bordeaux, accueillant paysans, pêcheurs, et artisans qui perpétuent les recettes de terroir : tripoux, grattons, huîtres d'Arcachon (élevées dès 1859 selon la technique des parcs à huîtres, source : Ifremer).

Du XIXe au XXe siècle : modernité, influences extérieures et industrialisation

L’ère industrielle marque un tournant majeur :

  • Arrivée du chemin de fer en 1852 : les primeurs landaises et le poisson des ports du Pays Basque envahissent les marchés.
  • Parallèlement, la boucherie bordelaise s’illustre avec l’entrecôte servis « à la moelle » et la sauce marchand de vin, offrant une nouvelle façon de mettre en valeur la viande locale.
  • Industrialisation des conserveries en Gironde, comme Cassegrain dès 1856 à Bordeaux, qui démocratise la consommation de légumes et confits pendant l’hiver (source : Cassegrain).
  • Naissance des confréries et sociétés gastronomiques, telles que la Confrérie du Canelé (créée en 1985).

Néanmoins, c’est au XXe siècle que les migrations changent franchement les habitudes, avec l’arrivée d’Italiens, d’Espagnols puis de Portugais fuyant la misère ou la guerre. Chacun apporte ses traditions :

  • Le Portugal : Pasteis de nata dans les boulangeries.
  • L’Espagne : Introduction des tapas et de la paëlla sur les fêtes du port.
  • Les Italiens : Variétés de pâtes fraîches, antipasti.

Les restaurants traditionnels doivent rivaliser avec la modernité, mais certaines adresses mythiques restent debout, à l’image du restaurant Le Chapon Fin, fondé en 1825 et l’un des trois premiers étoilés Michelin en 1926 (Source : Michelin Guide).

Renaissance du terroir, circuits-courts et renouveau gastronomique depuis les années 1980

Si la période de l’après-guerre marque une brève standardisation de la cuisine (plats industriels, conserves), un mouvement de fierté locale renaît dès les années 1980. L’émergence des « toqués du Sud-Ouest » met le terroir en lumière.

  • Retour des marchés de producteurs, dynamisés par l’AAPrA (Agence Aquitaine de Promotion Agroalimentaire) et l’arrivée de chefs étoilés développant la cuisine fusion.
  • Valorisation des produits AOP et IGP :
    • Bœuf de Bazas, reconnu Label Rouge en 1997.
    • Les huîtres Arcachon-Cap Ferret, en IGP depuis 2017.
  • Effervescence autour des vins de petites appellations (Côtes de Bourg, Blaye, Cadillac), révélant la diversité des terroirs girondins.

La scène culinaire bordelaise s’enrichit d’un foisonnement de concepts : bistronomie, bars à vins, pâtisseries nouvelle génération (La Toque Cuivrée, pionnière du canelé de dégustation), ateliers de cuisine locale et trophées culinaires (Trophée Jean Rougié pour le foie gras).

Quelques chiffres-clés sur la Gironde gourmande

  • 65 % de la surface vinicole de Nouvelle-Aquitaine est située en Gironde (donnée Agreste, 2020).
  • Près de 650 boulangeries-pâtisseries recensées en Gironde, dont plus de 80 à Bordeaux même (source : Chambre de Métiers, 2022).
  • 30 marchés hebdomadaires à Bordeaux, du marché des Capucins à celui de Saint-Michel (Source : mairie de Bordeaux).
  • Chaque année, les Fêtes du Vin et de la Gastronomie attirent plus de 500 000 visiteurs sur les quais de Bordeaux (Office du tourisme, 2023).

Transmission, formation et nouveaux ambassadeurs de la cuisine girondine

Aujourd’hui, Bordeaux et la Gironde affichent une vitalité sans précédent :

  • Centres de formation de référence : l’École de la Cité du Vin, le Lycée hôtelier de Talence, Bordeaux Sciences Agro…
  • Développement du tourisme gourmand : visites de châteaux, ateliers œnologiques, Bordeaux S.O Good (festival de cuisine locale et d’accords mets-vins).
  • Essor des chefs ambassadeurs : Philippe Etchebest, célèbre pour mettre le terroir bordelais au cœur de sa cuisine, ou Tanguy Laviale (restaurant Garopapilles), reconnu pour sa créativité ancrée dans la tradition locale.
  • Renouveau des filières artisanales : nouveaux boulangers stars (Mickaël Chesnouard, meilleur ouvrier de France à Bordeaux), poissonneries remises au goût du jour, et brasserie artisanales.

La tradition revisitée : quand l’histoire inspire la création moderne

Le patrimoine culinaire de Bordeaux se distingue autant par sa fidélité aux racines que par sa capacité à innover. Quelques exemples frappants :

  • Canelés salés (à la truffe noire, jambon de Bayonne), qui réinterprètent la star de la pâtisserie girondine pour l’apéritif.
  • Accords mets-vins revisités : de jeunes sommeliers mettent en avant les vins nature face aux traditionnels grands crus.
  • Des chefs puisent dans les recettes anciennes — sauce Bordelaise, gratin de mojettes, cèpes cuisinés au feu de bois — en y associant techniques modernes et inspirations du monde.
  • Focus sur la saisonnalité : des marchés et restaurants réinsistent sur les légumes oubliés du Bassin (choux cabus, fèves, piments doux).

L’héritage gourmand de Bordeaux à l’aune du XXIe siècle

Si les recettes et traditions de Bordeaux et de la Gironde n’ont cessé d’évoluer au gré des modes et des migrations, elles conservent un solide attachement à la convivialité, à la qualité des produits et à un certain art de vivre autour de la table. Au fil des siècles, cette terre n’a jamais cessé d’accueillir les influences tout en cultivant ses propres marqueurs : richesse du marché, exigence des terroirs, savoir-faire transmis de génération en génération. Aujourd’hui, la scène culinaire bordelaise séduit par sa capacité à réinventer l’ancien sans jamais l’effacer, à conjuguer excellence et ouverture, tradition et curiosité.

La prochaine grande étape, c’est sans doute celle de la cuisine responsable, de l’éco-gastronomie et de la valorisation raisonnée du patrimoine alimentaire, déjà portées par un grand nombre de restaurateurs, producteurs et artisans locaux engagés pour transmettre à leur tour cet héritage gourmand.

En visitant Bordeaux et la Gironde, chaque repas devient une occasion de voyager dans le temps et dans les saveurs, entre souvenirs et promesses d’avenir.

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