Festins sacrés : à la découverte des plats de fête des célébrations religieuses en terre bordelaise

11 décembre 2025

Un calendrier culinaire rythmé par les fêtes religieuses

La gastronomie bordelaise ne s’est jamais contentée d’accompagner les célébrations religieuses : elle en a épousé les rythmes, les contraintes et les plaisirs. Sous l’Ancien Régime et jusqu’au milieu du XXe siècle, le calendrier liturgique structuraiet tous les repas festifs. On dénombre en France jusqu’à 32 jours chômés pour des fêtes religieuses au XIXe siècle (source : Persée), et chaque occasion donnait lieu à des mets spécifiques, adaptés au jeûne comme à la fête.

  • Pâques : fête de la renaissance, synonyme d’agneau et de desserts riches
  • Noël : célébration familiale, avec ses douceurs et plats roboratifs
  • La Chandeleur, l’Épiphanie et autres fêtes du calendrier chrétien
  • Les Vendredis et Carême : temps de privation, propices aux recettes de poisson

En Gironde, les terroirs viticoles côtoient des paysages de Garonne, des forêts et des estuaires, ce qui a favorisé l’émergence d’une cuisine des fêtes aux multiples saveurs, relevant souvent autant du sacré que du festif.

Pâques et l’agneau, sommet des traditions girondines

L’agneau pascal : un incontournable du repas de Pâques

Dans la région bordelaise, le repas de Pâques s’articule traditionnellement autour de l’agneau, symbole biblique choisi pour célébrer la fin du Carême (une période où la viande était autrefois proscrite).

  • L’agneau de Pauillac : Ce label emblématique du Médoc, reconnu en appellation d’origine contrôlée (AOC) depuis 2003, se distingue par une viande savoureuse, tendre et peu grasse. Les familles bordelaises préparent souvent un gigot d’agneau de Pauillac rôti, accompagné de pommes de terre à la sarladaise ou de légumes nouveaux.
  • La croûte pascale : Dans les campagnes girondines, il était courant de préparer une farce d’agneau aux herbes, enveloppée dans une pâte : la « croûte pascale », une sorte de pâté en croûte parfumé à l’aillet ou à l’oseille (Source : mémoire orale du Sud-Gironde, témoignages recueillis par le Musée d’Ethnographie de Bordeaux).

Plats festifs et légumes printaniers

Le festin pascal ne saurait se limiter à la viande. L'arrivée du printemps, synonyme de renouveau, se traduit par une profusion d’asperges du Blayais — prisées pour leur douceur et leur manque d’amertume — que l’on sert traditionnellement en vinaigrette ou avec une sauce mousseline. Les œufs, autre symbole religieux fort, sont également à l’honneur sous forme d’œufs mimosa ou de tourtes garnies.

Noël et la grande veillée gourmande bordelaise

Des plats riches pour résister à l’hiver

Le réveillon de Noël, moment de retrouvailles par excellence, mettait à l’honneur des plats réconfortants et raffinés. Dans nombre de familles bordelaises, on ouvrait le bal par des huîtres du Bassin d’Arcachon (la tradition remonte au XIXe siècle, lorsque les ostréiculteurs bordelais commencent à fournir Paris pour les fêtes, source : Comité national de la conchyliculture). Elles précédaient souvent un filet de bœuf en croûte ou une dinde farcie aux marrons, parfois remplacée dans l’Entre-deux-Mers par du chapon rôti élevé localement.

  • Le boudin de Noël (ou boudin blanc parfumé à la truffe et à la volaille), préparé artisanalement dans nombre de charcuteries du Libournais, était la fierté des tablées rurales (Source : Sud Ouest).
  • Le tourin à l’ail, une soupe à l’ail typique du Sud-Ouest, était servi tard dans la nuit pour soutenir les veilleurs après la messe de minuit.

Les fameux « Treize desserts » et autres douceurs de Noël

Si la tradition provençale des treize desserts n’a jamais été implantée telle quelle en Gironde, la région n’en est pas moins riche en desserts emblématiques :

  • Le Pastis bordelais : une brioche beurrée et parfumée à la fleur d’oranger, héritée des Gascons, souvent préparée en couronne.
  • Les canelés : incontournables à Bordeaux, mais présents aussi sur les tables de fête, avec leur caramélisation typique et leur parfum de rhum et de vanille (l’origine remonterait au XVIIIe siècle dans les couvents bordelais).
  • La bûche de Noël : adoptée par les pâtissiers bordelais dès le début du XXe siècle sous forme de biscuit roulé garni de crème au beurre ou au chocolat.

Mentionnons aussi les fruits confits de la région d’Agen (importés de la Garonne voisine), souvent partagés au dessert.

Carême, Vendredi Saint : entre privation et créativité

Le calendrier chrétien imposait jadis bien des restrictions alimentaires, notamment lors du Carême (40 jours précédant Pâques). Viandes, œufs, beurre, laitage : autant d’aliments à bannir ou à remplacer. En Gironde, cette période a vu naître toute une gamme de recettes gourmandes… sans viande.

Le poisson : star du vendredi

  • Les lamproies à la bordelaise : ce poisson de rivière, pêché dans la Garonne et la Dordogne, était (et reste) l’un des mets les plus typiques de la région. La recette traditionnelle, attestée dès le Moyen Âge dans la région de Saint-Émilion, consiste à faire mijoter la lamproie dans une sauce au vin rouge, ail et poireau, enrichie parfois de sang (source : Académie Française).
  • Les pibales (alevins d’anguille), pêchées dans l’estuaire de la Gironde, sont revenues en force sur les tables de fête dans les années 1960 (elles étaient auparavant considérées comme nourriture de jeûne et vendues sur les marchés populaires).

Les soupes et potages du Carême

  • Le garbure bordelaise (variante locale de la garbure gasconne) : soupe de légumes, parfois agrémentée d’un peu de jambon les jours non maigres, ou simplement servie avec croûtons et œufs pochés.
  • La soupe de pois cassés, fréquente dans les zones rurales, était parfois relevée d’oignons et de fines herbes du jardin.

Le recours à l’aillet (jeune pousse d’ail, cueillie au printemps) était courant en Gironde pour parfumer soupes, omelettes et tartes aux herbes du Carême.

Épiphanie, Chandeleur : galettes et brioches sacrées

La galette des rois : feuilletée ou briochée ?

En Gironde, l’Épiphanie divise souvent les gourmands entre galette à la frangipane, popularisée dès le XIXe siècle dans les villes, et gâteau des rois brioché parfumé à la fleur d’oranger dans les campagnes (source : Jacques André, « Histoire des fêtes et traditions du Sud-Ouest », éditions Sud-Ouest).

Type de galette Zone de consommation principale Caractéristiques
Galette à la frangipane Bordeaux, villes de Gironde Pâte feuilletée, crème d’amandes, fève cachée
Gâteau des rois brioché Campagnes, Entre-deux-Mers Brioche, zestes d’orange, fruits confits, forme de couronne

Plots, merveilles et brioches de la Chandeleur

  • Crêpes fines (presque transparentes) : héritage médiéval, elles étaient autrefois offertes aux pauvres le jour de la Chandeleur pour attirer la chance.
  • Les merveilles : beignets parfumés à la fleur d’oranger, frits dans la graisse d’oie ou d’huile de noix, spéciaux à la Gironde (à ne pas confondre avec les bugnes lyonnaises).
  • Plots : ces petites brioches tressées étaient distribuées par les parrains et marraines aux enfants du village, coutume attestée jusqu’aux années 1950 dans les alentours de Bazas et Langon (source : Musée d’Ethnographie de Bordeaux).

Anecdotes, rituels et transmission : l’esprit des fêtes en Gironde

Bien plus que de simples recettes, ces plats portaient chacun leur lot d’anecdotes et de superstitions. Allumer la bûche en chêne lors du réveillon, déposer une part de galette sur le rebord de la fenêtre pour les âmes errantes, ou encore faire tourner la première crêpe au-dessus de l’armoire… autant de gestes qui relient hier à aujourd’hui.

Certains villages de Gironde conservent précieusement ces traditions : à Uzeste, la soupe du Carême est servie dans l’église au retour de la procession. Les ostréiculteurs d’Arcachon, eux, perpétuent l’habitude d’ouvrir les premières huîtres de la saison après la messe de Noël, en famille ou entre voisins. À Saint-Macaire, les concours de merveilles mobilisent chaque année les amateurs de beignets anciens.

Ressources et conseils pour explorer ces traditions aujourd’hui

  • Musée d’Ethnographie de Bordeaux : conférences, archives orales et démonstrations culinaires sur les plats des fêtes religieuses girondines
  • Comité Régional de Tourisme de Nouvelle-Aquitaine : parcours gourmands et événements autour des spécialités du terroir pendant les temps forts du calendrier
  • Livres de recettes anciennes, notamment ceux de Jacques André, Monique Politzer ou Jean-Pierre Xiradakis, qui revisitent les plats bordelais d’antan
  • Pâtisseries et boulangeries artisanales : pour retrouver plots, galettes briochées et merveilles à l’occasion des grandes fêtes

La transmission se fait aussi dans les cuisines familiales, grâce à la mémoire des aînés ou à la convivialité des marchés du samedi matin.

Une tradition vivante qui régale toujours

Si certains plats autrefois central dans les rituels religieux ont parfois déserté nos assiettes, nombreux sont ceux qui connaissent un renouveau, portés par l’envie de renouer avec les saisons et la convivialité. Ces mets racontent la Gironde : généreuse, métissée, attachée à ses racines tout en restant curieuse et innovante. Que ce soit lors d’une veillée de Noël, d’un déjeuner pascal ou d’une soirée d’Épiphanie, le patrimoine culinaire des fêtes religieuses bordelaises offre une délicieuse porte d’entrée dans l’histoire et les savoir-faire du terroir.

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