De la soupe médiévale au canelé : voyage gourmand à travers l’histoire culinaire bordelaise

12 octobre 2025

Les tables bordelaises au Moyen Âge : simplicité, terroir et influences extérieures

Au Moyen Âge (environ du Ve au XVe siècle), Bordeaux connaît une forte activité commerciale grâce à son port, déjà réputé. La Garonne facilite les échanges de vins, d’épices, mais aussi de poissons, notamment l’alose et l’esturgeon, emblématiques du fleuve.

  • Le pain noir et la soupe : Les repas quotidiens s’organisent autour de pains sombres à base de seigle ou d’épeautre, accompagnés de potages consistants tels que la ragouze, mélange de légumes et de lard paysan. La viande, rare pour le peuple, est réservée aux jours de fête.
  • Le poisson roi : L’esturgeon est abondamment consommé, souvent bouilli ou braisé. Les lampreys du fleuve inspirent, dès cette époque, des recettes ancestrales comme la « lamproie à la bordelaise », à base de vin rouge, d’ail et d’aromates locaux (Bibliothèques de Bordeaux).
  • Épices, symbole de prestige : Port maritime, Bordeaux voit transiter poivre, cannelle, safran ou clous de girofle ; ils relèvent les mets des plus aisés et témoignent du statut social.

La cuisine médiévale bordelaise illustre donc un contraste fort : d’un côté, l’alimentation quotidienne centrée sur le terroir, de l’autre, l’apparition d’influences lointaines portées par la noblesse et le clergé.

La Renaissance et les Temps Modernes : vins, alliances et ouverture au monde

Avec la fin du Moyen Âge, Bordeaux s’affirme comme une capitale viticole. La Renaissance apporte raffinement et métissage des influences, notamment anglaises et espagnoles, après des décennies de domination anglaise (1154–1453).

  • Le vin, moteur de la gastronomie : Les archives témoignent du succès de cépages historiques tels que le Malbec (appelé « cot »), déjà exporté en Angleterre et aux Pays-Bas. En 1599, on compte plus de 800 tavernes à Bordeaux selon les consuls de la ville (Archives Bordeaux Métropole).
  • Le dessert s’impose à table : Au XVIIe siècle, le commerce du sucre de canne, venant directement des Caraïbes, encourage la création de premiers confiseries et entremets sucrés. C’est aussi la naissance de la « puce bordelaise », un ancêtre du canelé, petit gâteau parfumé au rhum et à la vanille.
  • Cuisine du marché : Fruits (figues, noix, fraises), charcuteries et volailles s’installent sur les étals, favorisant une cuisine plus diversifiée. Bayonne, toute proche, influence l’usage du jambon et du piment dans de nombreuses recettes.

L’évolution culinaire de Bordeaux épouse donc les grandes routes du commerce atlantique : poissons, grains, vins, épices, puis sucre modifient profondément le panier et les recettes du quotidien.

XIXe siècle : l’âge d’or des spécialités bordelaises et naissance de la cuisine bourgeoise

La Révolution industrielle, au XIXe siècle, insuffle un nouveau rythme à la ville. L’essor des halles alimentaires (la Halle des Capucins date de 1867) fait de Bordeaux un laboratoire du goût urbain. Des recettes phares s’imposent peu à peu :

  • La lamproie à la bordelaise : L’actuelle recette emblématique, mijotée au vin de Bordeaux, s’inspire fidèlement des traditions médiévales, mais s’enrichit d’une sauce au sang et de poireaux nouveaux.
  • L’entrecôte à la bordelaise : L’apparition des grills, mais aussi la démocratisation de la consommation du bœuf, font surgir ce plat incontournable, nappé d’une sauce au vin parfumée à la moelle. L’entrecôte devient, au fil du XIXe, le plat favori des brasseries chic.
  • Les huîtres du bassin et le canelé moderne : L’ostréiculture se développe massivement (le bassin d’Arcachon fournissant déjà 1 500 tonnes d’huîtres en 1860, source INRA). De leur côté, les sœurs du couvent Annociades de Bordeaux fixent la recette du canelé tel qu’on le connaît, à base de jaunes d’œufs, rhum et vanille.

La gastronomie bourgeoise bordelaise assoit alors ses codes : vins structurés, viandes locales, mariage subtil des saveurs de terre et de mer, desserts raffinés. Les restaurants s’ouvrent à une clientèle plus vaste et la gastronomie devient affaire locale, valorisée par de grands chefs et cuisiniers (Auguste Escoffier n’aura de cesse de vanter les produits du sud-ouest).

De l’après-guerre à aujourd’hui : mutations, retour aux sources et cuisine de partage

Changements de modes de vie, nouvelles influences

L’après Seconde Guerre mondiale marque l’entrée des produits industrialisés, mais aussi l’émergence de nouvelles attentes en matière de santé et de plaisir. À Bordeaux, l’identité culinaire se réaffirme autour de trois dynamiques principales :

  1. Le retour aux produits locaux et de saison : Marchés bio, circuits courts, AMAP, influence du mouvement Slow Food : Bordeaux retrouve ses producteurs et invente une nouvelle proximité. Tomates de Marmande, fraises du Médoc, poissons de l’estuaire et fromages fermiers reprennent le chemin des assiettes (voir le rapport Agence Bio 2022).
  2. La créativité des chefs : La scène bordelaise contemporaine est emblématique : de jeunes chefs étoilés (Tanguy Laviale, Stéphane Carrade) réinterprètent la lamproie, subliment le canelé ou associent produits d’ici et techniques d’ailleurs.
  3. L’affirmation de la cuisine de partage : L’apéritif dinatoire, les brunchs et les bars à vins valorisent planches de charcuteries, fromages, tapas revisités avec un accent local (saucisses, cornichons de Garonne, pruneaux d’Agen).

Quelques chiffres marquants à Bordeaux

  • Plus de 250 marchés alimentaires se tiennent chaque année en Gironde, et 45 % des restaurants bordelais proposent des plats d’inspiration régionale (source Chambre d’Agriculture Bordeaux).
  • Le marché du canelé représente plus de 8 millions d’unités vendues chaque année (La Nouvelle République).
  • En 2022, le port de Bordeaux gère encore près de 9,5 millions de tonnes de marchandises, illustrant l’ouverture permanente à l’influence internationale alimentaire (Port Bordeaux Atlantique).

Recettes, techniques et saveurs : persistance, adaptation et métissage

L’évolution des recettes bordelaises n’est pas qu’une histoire d’ingrédients, mais aussi de techniques et de textures :

  • Mijoter, griller, confire : Trois gestes qui traversent les siècles, faisant de la cuisine bordelaise une affaire de patience et de précision.
  • Le vin, toujours créateur de saveurs : Depuis la lamproie jusqu’à la sauce bordelaise, le vin s’impose comme assaisonnement, base de marinade ou élément central des desserts (dans la poire au vin ou la sauce vigneronne).
  • Le sucré-salé : Héritage médiéval revisité, on le trouve dans les recettes modernes, à l’image du magret de canard aux figues, ou du foie de veau au vinaigre balsamique.
  • L’ouverture mondiale : Aujourd’hui, la ville compte plus de 1 500 établissements de restauration, et Bordeaux figure parmi les cinq métropoles françaises les plus innovantes culinairement (Classement Atout France 2023).

Le canelé, de son côté, est passé de recette religieuse confidentielle à symbole international, apprécié à Tokyo comme à Montréal.

Quand les recettes racontent l’évolution sociale et culturelle de Bordeaux

L’histoire gastronomique bordelaise est profondément ancrée dans l’évolution culturelle, économique et sociale de la ville. À chaque étape, les recettes ont accompagné – parfois précédé – les grandes mutations :

  • L’ouverture anglaise a instauré des habitudes de consommation du bœuf (entrecôte).
  • Les révolutions du commerce transatlantique et la colonisation ont injecté épices, rhum, sucre.
  • La crise viticole du XIXe a provoqué, en retour, une diversification alimentaire vers les produits maraîchers et de la mer.
  • Les migrations espagnoles, italiennes et maghrébines du XXe siècle savourent la cuisine bordelaise et viennent, elles aussi, la colorer de nouveaux accents.

Aujourd’hui, la cuisine bordelaise combine le meilleur du terroir, l’audace des nouvelles techniques et le goût du partage. Que l’on se régale d’une soupe à l’ail des ours ou d’un canelé revisité au poivre de Timut, chaque bouchée est une traversée du temps et une invitation à découvrir la Gironde sous un nouveau jour.

Pour continuer la découverte

Qu’il s’agisse de plonger dans les livres de recettes d’antan (comme le « Viandier » de Taillevent, véritable témoin du patrimoine culinaire médiéval), de participer aux ateliers gastronomiques proposés par les écoles du quartier Saint-Pierre, ou de faire halte dans l’un des marchés food trucks du quai des Chartrons, l’histoire de la gastronomie à Bordeaux se transmet avant tout dans le partage. Elle inspire aujourd’hui une nouvelle génération de gourmets, curieux de conjuguer l’héritage à l’inventivité.

Pour prolonger la balade gourmande :

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