Cannelé de Bordeaux : Secrets d’un emblème gourmand et intemporel

23 décembre 2025

Un petit gâteau… à l’histoire grande et tumultueuse

Croustillant à l’extérieur, moelleux et tendre à l’intérieur, caramel doré, parfum subtil de vanille et de rhum : le cannelé n’est pas seulement une douceur bordelaise, c’est un véritable symbole de l’identité gastronomique locale. Pourtant, peu de pâtisseries ont connu un parcours aussi sinueux, autant d’oublis et de renaissances, avant de se hisser au sommet des spécialités françaises connues dans le monde entier.

Le cannelé nous raconte une histoire : celle d’un gâteau longtemps méconnu des Bordelais eux-mêmes, qui s’impose aujourd’hui comme LE souvenir gustatif incontournable de la région. D’où vient-il ? Pourquoi son essor plutôt tardif ? Et comment a-t-il envoûté des générations de gourmets (et de touristes) ? Plongée dans cette douce légende, pour percer le mystère de son irrésistible succès.

Des origines bordelaises… mais aussi monastiques et charitables !

Avant de devenir l’emblème des vitrines gourmandes et des sacs cadeaux de Bordeaux, le cannelé prend racine dans une tradition bien différente. S’il apparaît au XVIIIe siècle, il semble qu’on tressait déjà à Bordeaux de petits gâteaux similaires, les « canelats », produits par des religieuses – notamment celles du couvent des Annonciades, installé près du port. Ces dernières utilisaient astucieusement les jaunes d’œufs cédés par les chais qui, pour clarifier le vin de Bordeaux, consommaient des quantités industrielles de blancs d’œufs. Pas question de gaspiller : les religieuses pâtissières agrémentaient ces jaunes de sucre, de farine et souvent de vanille et de rhum rapportés des Antilles via le grand port bordelais.

La proximité historique entre le commerce du vin, les échanges coloniaux, l’activité des couvents et la création du cannelé est aujourd’hui reconnue par la majorité des historiens culinaires (voir Bernard Gallinato-Contino, « Le cannelé de Bordeaux, histoire d’une énigme pâtissière », Sud Ouest Gourmand). Mais ce n’est qu’au XXe siècle que le cannelé prendra vraiment sa forme actuelle et son orthographe finale, obtenant même en 1985 la création de la confrérie du « Canelé de Bordeaux ».

Un objet d’artisanat, jalousement gardé

Confisqué, presque, par la corporation des pâtissiers (l’orthographe « canelé » étant une marque protégée déposée en 1985 par la Confrérie du Canelé de Bordeaux), ce petit gâteau fait partie de l’héritage secret des artisans. Aujourd’hui encore, la recette exacte reste soigneusement gardée. Quelques points, cependant, font consensus :

  • Un moule en cuivre cannelé, graissé minutieusement, indispensable pour l’obtention de la croûte caramélisée si caractéristique.
  • Un appareil riche en jaunes d’œuf et relevé de rhum ambré (de préférence d’origine antillaise) et de gousses de vanille.
  • Une cuisson à deux températures : attaque à très chaud puis prolongation plus douce, afin d’obtenir la dualité entre l’extérieur croquant et l’intérieur fondant.

Cet artisanat minutieux explique que le cannelé demeure longtemps confidentiel, réservé aux initiés et soumis à une production limitée. Au début du XXe siècle, la spécialité n’est connue que de quelques pâtisseries bordelaises !

Développement et explosion du cannelé : une ascension fulgurante

L’essor spectaculaire du cannelé débute dans les années 1980. Grâce à quelques entrepreneurs bordelais comme la maison Baillardran, la spécialité s’installe en centre-ville. Les machines à mouler et la standardisation des préparations dopent la production, tandis qu’une politique volontariste de rayonnement accorde au cannelé une présence de plus en plus forte dans les gares, aéroports, boutiques souvenirs et jusqu’aux halls d’exposition internationaux.

Selon les chiffres relayés par Baillardran (premier producteur artisanal, avec environ 6 millions de cannelés vendus chaque année – Source : Sud Ouest 2023), la production aurait été multipliée par plus de 50 en 40 ans ! Près d’un million de cannelés serait aujourd’hui vendu chaque mois, rien qu’à Bordeaux. La valeur annuelle du « marché du cannelé » à Bordeaux et dans sa région se situe entre 16 et 20 millions d’euros selon les diverses estimations économiques locales.

  • En 1985 : création de la Confrérie du Canelé de Bordeaux, qui pose les bases d’une charte qualitative.
  • Années 1990 : implantation du cannelé dans les réseaux de transport (aéroports, gares SNCF).
  • Années 2000 à aujourd’hui : diffusion internationale (présence à Tokyo, New York, Montréal, Dubaï, etc.).

Le cannelé n’est plus une simple friandise : c’est devenu un produit ambassadeur, mené par une poignée de maisons historiques mais aussi repris dans l’offre de dizaines d’artisans indépendants. À Bordeaux, on compte aujourd’hui plus de 60 adresses spécialisés ou proposant du cannelé « maison », contre moins de 10 dans les années 1970 (source : Guide Le Fooding, 2024).

Pourquoi le cannelé séduit-il autant ?

Si le cannelé est aujourd’hui le « baiser sucré de Bordeaux », ce n’est pas un hasard. Plusieurs raisons expliquent cet engouement persistant et fédérateur :

  • Son goût inimitable : équilibre subtil entre sucre, vanille et rhum, caramel et moelleux, il plaît à tous les âges et à tous les profils de gourmands.
  • Un gâteau « portable » : facile à emporter sans s’abîmer, le cannelé voyage… il s’offre, se partage, se transporte comme « souvenir comestible » (près d’un touriste sur trois achète au moins une boîte lors de son passage à Bordeaux selon l’enquête Office du Tourisme 2022).
  • Son image maîtrisée : une communication soignée, un marketing bien pensé, de jolies boîtes et un label artisanal fort (confrérie, festivités dédiées).
  • Facile à décliner : format dégustation apéritive, version mini ou géante, création salée ou glacée… Le cannelé s’invite sur tous les terrains culinaires.

Il faut également ajouter le facteur « instagrammable » ! Sa forme très reconnaissable est aujourd’hui un formidable atout visuel sur les réseaux sociaux, amplifiant ainsi sa notoriété, notamment auprès de la jeune génération.

Le cannelé, ambassadeur du patrimoine bordelais

Devenu visuel quasi-officiel des campagnes touristiques, décliné en magnet, en porte-clé ou en logo pour certaines entreprises locales, le cannelé dépasse le statut de pâtisserie. Il incarne une double identité :

  1. L’ouverture vers l’ailleurs : grâce à ses ingrédients exotiques (rhum, vanille) importés depuis plus de deux siècles par le port de Bordeaux, il rappelle la période du grand négoce et des échanges maritimes.
  2. L’ancrage local : savoir-faire bordelais, goût pour les produits de qualité, attachement aux traditions gourmandes.

C’est pourquoi le cannelé a su inspirer cuisine, poésie, objets d’artisanat et, tout récemment, innovation culinaire (voir les expériences de cannelé vegan chez Maison Lemoine, ou les « cannelés salés » proposés dans certains restaurants gastronomiques locaux, source : Gault & Millau 2023).

Ce que murmure le cannelé sur la société girondine

Manger un cannelé, c’est aussi croquer dans un concentré d’histoire sociale et culturelle. Autrefois aliment populaire des ouvriers du port (très bon marché, grâce aux ingrédients récupérés à faible coût), puis objet de fierté de la bourgeoisie locale (qui en fit un élément d’apparat à la table du dessert), le cannelé continue d’évoluer avec la société girondine.

  • Des initiatives solidaires récentes voient le jour, comme la fête annuelle du cannelé où une partie des ventes est reversée à des associations caritatives.
  • Le cannelé brise aussi quelques codes du luxe alimentaire : on le retrouve tant dans les cantines des écoles que dans les salons des grands hôtels.

On trouve maintenant des ateliers d’apprentissage pour petits et grands — plus de 4 000 participants par an aux cours et démonstrations en Gironde (statistique : organisme Bordeaux Workshop 2024).

Comment déguster (et choisir) le vrai cannelé bordelais ?

Sur place, chaque bordelais ou visiteur a son adresse fétiche. Mais quelques critères permettent de débusquer le vrai cannelé artisanal :

  • Une croûte presque brune, très caramélisée, mais jamais brûlée.
  • Un parfum intense : le cannelé doit embaumer la vanille et le rhum, sans excès d’alcool.
  • Texture : le cœur doit rester souple, un peu « humide », très aérien malgré la richesse des œufs.
  • Format : de la taille « n°1 » (bouchée de 20g) à la taille « n°5 » (100g).

Parmi les maisons incontournables : Baillardran bien sûr, mais aussi La Toque Cuivrée, Puits d’Amour, Lemoine, Cassonade (pour le sans gluten). De nombreux boulangers-propriétaires élaborent eux-mêmes d’excellentes versions, parfois avec des variantes inattendues (zeste d’orange, piment d’Espelette…).

  • Astuce : Le cannelé se conserve 3 à 4 jours maximum à température ambiante. Pour un effet « sorti du four », le repasser 2 minutes à 200°C.

Le cannelé, icône d’hier et star de demain ?

Le cannelé incarne aujourd’hui cette gourmandise dont Bordeaux a le secret : riche d’histoire, exigeante en savoir-faire, facile à partager et toujours prête à se réinventer. Sa capacité à rassembler les générations, les cultures, et à magnifier les produits d’ici et d’ailleurs en fait le porte-étendard d’une ville fière de son identité et ouverte au monde.

Demain, nul doute que le cannelé continuera de faire vibrer les papilles : exportations, concours internationaux, nouvelles recettes… Ce petit gâteau cannelé, patiemment perfectionné depuis trois siècles, n’a pas fini de représenter, au creux d’une bouchée caramélisée et moelleuse, toute la gourmandise et l’audace de Bordeaux.

Pour aller plus loin :

  • « Le cannelé de Bordeaux, histoire d’une énigme pâtissière », Bernard Gallinato-Contino (Sud Ouest Gourmand, 2021).
  • Dossier « Cannelé, le trésor bordelais » (France 3 Nouvelle-Aquitaine, 2023).
  • Bordeaux Office du Tourisme : chiffres de la fréquentation et studies sur la notoriété du cannelé

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