Le cannelé bordelais dans les règles de l’art : histoire, secrets de fabrication et réussite à la maison

31 décembre 2025

Un trésor bordelais centenaire : aux origines du cannelé

Symbole rayonnant de la pâtisserie bordelaise, le cannelé (parfois orthographié canelé) évoque autant l'élégance des vitrines de la rue Sainte-Catherine que la gourmandise d'une cuisson soigneusement maîtrisée. Sa silhouette dorée, cannelée et brillante cache un cœur moelleux où vanille et rhum se donnent la réplique. Mais derrière l’apparente simplicité de ce petit gâteau se cachent un long héritage et quelques subtilités techniques.

Le cannelé n’est pas une invention récente. Plusieurs historiens, dont ceux de la Confrérie du Canelé de Bordeaux, situent ses premiers ancêtres à la fin du XVIIIe siècle. Il s’agissait alors pour les religieuses du couvent des Annonciades de recycler des jaunes d’œufs, le blanc étant réservé à la clarification des vins de Bordeaux (Confrérie du Canelé). Cette astuce anti-gaspillage est à l’origine de la pâte souple, enrichie de lait, farine et sucre. Le moule cannelé en cuivre, conçu pour une belle caramélisation, fait lui son apparition vers 1920, grâce à la famille Baillardran qui démocratise la recette avec l’ajout de rhum antillais.

Aujourd’hui, le cannelé s’exporte dans toute la France et même à l’étranger, mais son authenticité reste farouchement préservée à Bordeaux, qui en produit plus de 20 millions chaque année (source : Office de Tourisme de Bordeaux).

Les ingrédients essentiels du cannelé traditionnel

La magie du cannelé tient à sa liste d’ingrédients très courte – et sans aucune poudre à lever. Chaque élément joue un rôle précis dans texture, parfum ou croquant. Pour réussir un cannelé typique bordelais, voici la liste de base :

  • Lait entier (évitez le lait écrémé)
  • Beurre doux de qualité
  • Jaunes d’œufs frais (jamais entiers, pour la finesse de la pâte)
  • Sucre en poudre
  • Farine de blé type 55 (une farine trop riche ou spéciale nuirait à la texture)
  • Vanille naturelle (en gousse de préférence)
  • Rhum ambré traditionnel (ni liqueur, ni arôme artificiel)

La qualité des ingrédients est la vraie clé de réussite. Les artisans bordelais recommandent, par exemple, d’utiliser des œufs pondus du jour et du lait cru de ferme, mais il est tout à fait possible de obtenir un bon cannelé avec des produits frais du commerce. Privilégier un rhum agricole de Martinique ou des Antilles reste, pour beaucoup de pâtissiers girondins, le détail qui fait la différence.

La recette pas à pas : gestes et astuces de la tradition bordelaise

La préparation de la pâte : une affaire de patience

Contrairement à de nombreux gâteaux, le cannelé demande une pâte très fluide, presque comme une pâte à crêpe épaisse. Voici les étapes détaillées, issues des pratiques des maisons historiques de Bordeaux :

  1. Infuser le lait : Faites chauffer le lait entier avec 40 g de beurre (pour 50 cl de lait), une gousse de vanille fendue et grattée. Laissez infuser 10 minutes hors du feu pour obtenir un lait parfumé sans ébullition.
  2. Blanchir les jaunes et le sucre : Fouettez ensemble 3 jaunes d’œufs et 250 g de sucre jusqu’à obtenir une texture claire. Cette étape donne du moelleux et évite l’amertume du sucre mal dissous.
  3. Incorporer la farine : Ajoutez 110 g de farine tamisée, sans fouetter mais en soulevant la pâte à la maryse pour ne pas développer le gluten.
  4. Mélanger le tout : Versez progressivement le lait infusé tiède sur le mélange, en remuant délicatement, puis ajoutez le rhum (3 cl, soit 2-3 cuillères à soupe). La pâte doit rester très fluide.
  5. Passage crucial : le repos au froid : Laissez reposer la pâte 24 à 48 heures au réfrigérateur, couverte, pour favoriser le développement aromatique et donner au cannelé sa mie typique, légèrement alvéolée.

Pour les professionnels, ce long repos est non négociable. Il s’explique par la nécessité de bien hydrater la farine, homogénéiser la pâte et limiter les bulles d’air qui troubleraient la croûte.

Le choix du moule : le secret du croustillant

Le moule à cannelé, c’est sacré ! Historiquement, il est en cuivre, parfaitement cannelé pour une caramélisation uniforme. La transmission de la chaleur y est inégalée ; c’est ce qui permet d’obtenir la fameuse croûte brillante et presque caramélisée, alors que le cœur demeure tendre et fondant.

  • Moules en cuivre étamé : ils offrent le résultat le plus proche de l’original. Leur seul défaut : ils doivent être bien graissés (traditionnellement avec un mélange de cire d’abeille et beurre fondu), pour éviter l’adhérence et la détérioration de la fine couche d’étain.
  • Moules antiadhésifs modernes : une bonne option pour un usage domestique, mais attention : la croûte peut être moins craquante et la cuisson plus sensible.
  • Silicone : à proscrire si l’on vise la texture et le goût authentiques, car le moule absorbe une part de la chaleur et freine la caramélisation.

À Bordeaux, certaines pâtisseries comme La Toque Cuivrée ou Baillardran cuisent chaque jour plus de 40 000 cannelés dans des moules en cuivre : un savoir-faire reconnu dont les résultats sont difficilement égalables à la maison !

Graisser les moules : un geste ancestral

Le choix du gras est décisif. La recette ancienne implique l’utilisation de pure cire d’abeille, qui donne au cannelé son lustre caractéristique et contribue à la croûte. Aujourd’hui, on mêle souvent moitié beurre fondu, moitié cire, pour un résultat plus facile à manipuler. Mode d’emploi : faites fondre le beurre et la cire à feu très doux, puis, à l’aide d’un pinceau, tapissez chaque moule d’une couche très fine.

La cuisson : l'art du contraste

La cuisson, c’est LE facteur qui distingue le bon du grand cannelé. La tradition bordelaise impose une cuisson à très haute température puis à température plus douce :

  1. Préchauffez votre four à 250°C (chaleur statique). Certains fours ne dépassent pas 240°C : surveillez l’enfournement.
  2. Disposez les moules (jamais totalement remplis, ne pas dépasser les 4/5) sur une plaque froide.
  3. 15 minutes à 250°C : c’est ici que se joue la belle croûte caramélisée.
  4. Puis, baissez immédiatement à 180°C et poursuivez entre 45 à 55 minutes (selon la taille des moules et votre four). Le cannelé classique fait 5 cm de haut, la cuisson adapte à la taille : pour les mini-cannelés, 35 à 40 minutes suffisent.

Le cœur doit rester bien moelleux, presque tremblotant à la sortie du four : c’est en refroidissant que la pâte va se « tenir ».

Réussir la texture parfaite : moelleux-croquant, tout un art

Obtenir un cannelé qui allie croûte légèrement croquante, couleur acajou, et mie souple n’est pas qu’affaire de cuisson. Plusieurs facteurs sont à surveiller :

  • Ne jamais battre la pâte : pour éviter de créer un réseau glutineux, qui véhicule l’air et donne une croûte irrégulière.
  • Laisser la pâte reposer le plus longtemps possible : les meilleurs cannelés sont souvent issus d’une pâte vieillie 48 h, ce qui sublime la diffusion des arômes.
  • Doser précisément le rhum : trop, il masquera la vanille et l’équilibre subtil ; trop peu, la pâte sera fade.
  • Éviter l’ouverture du four pendant la cuisson : un choc de température ferait retomber le cannelé et créerait un creux au centre.

Certains chefs pâtissiers bordelais, comme Philippe Andrieu ou Pascal Fichard, recommandent même de recouvrir la pâte au repos d’un papier film au contact, pour éviter l’oxydation en surface.

Erreurs courantes et solutions pratiques

Le cannelé impressionne par sa fragilité. Voici les soucis fréquemment rencontrés… et les vraies solutions d’artisans :

Erreur fréquente Solution professionnelle
Cannelé plat ou tassé Pâte trop battue ou pas assez reposée. Refroidissez la pâte au moins 24 h et mélangez toujours délicatement.
Extérieur pas assez doré Température du four trop basse, ou moules mal graissés. Préchauffez longuement le four et vérifiez l’état des moules.
Cannelé qui se démoule mal Cire/beurre trop peu présente. N'hésitez pas à regraisser les moules après chaque cuisson : un moule en cuivre bien patiné se bonifie avec l’usage.
Cannelé creux au centre Pâte trop aérée (mélange excessif) ou four ouvert pendant la cuisson : surveillez la manipulation et l’appareil.

L’anecdote bordelaise et les secrets bien gardés

Chaque maison bordelaise garde un secret ou une astuce héritée de longue date. Par exemple, la célèbre Toque Cuivrée fait maturer ses pâtes la nuit à 7°C, tout en utilisant une pointe de vieux rhum : certains pâtissiers ajoutent quelques gouttes de caramel maison dans la pâte pour intensifier la cuisson. D’autres jurent par l’usage exclusif d’une vanille de Madagascar, reconnue pour la douceur de ses arômes.

Il arrive qu’un pâtissier ajoute une pincée de sel ou de la vanille liquide à la gousse pour renforcer la note aromatique, ou opte pour une combinaison beurre demi-sel/beurre doux afin de relever les nuances du rhum.

Comment conserver et déguster le cannelé ?

Le cannelé a ceci d’exigeant : il est meilleur dégusté le jour même de sa cuisson. Après 12 h, sa croûte commence à ramollir. À Bordeaux, chaque pâtisserie vend ses cannelés « sortis du four du matin » !

  • Sous cloche ou dans une boîte ajourée : jamais au froid, qui abîme la texture.
  • À cuisiner la veille : certains Bordelais n’hésitent pas à repasser les cannelés 3 minutes à 220°C pour raviver la croûte avant dégustation.
  • À accompagner : le cannelé s’accorde magnifiquement avec un verre de Sauternes ou de moelleux girondin ; il s’apprécie aussi au goûter ou en mignardise aux mariages et célébrations locales.

Le cannelé aujourd’hui : créativité et tradition

Si la recette traditionnelle demeure le cœur battant des tables bordelaises, de jeunes artisans osent des variantes : insertion de caramel, zestes d’agrumes, infusions florales, ou même déclinaisons sans gluten. Mais à Bordeaux, la tradition reste la norme, défendue chaque année dans des concours locaux (ex : le « Meilleur canelé de Bordeaux », jugé par la Confrérie du Canelé).

L’engouement autour du cannelé ne faiblit pas : plus de 15 millions de pièces vendues chaque année dans la métropole bordelaise (source : Sud Ouest), dont 70 % lors des trois grandes périodes : été, Noël et Fête du Vin.

Oser le vrai goût du cannelé à Bordeaux… ou chez soi

Réaliser des cannelés chez soi, c’est accepter un temps d’attente, une belle part de minutie, et la recherche du contraste parfait entre cœur et croûte. La maîtrise de leur cuisson, la justesse du repos de la pâte et la qualité des moules font la différence – mais c’est l’attachement au geste bordelais qui forge la tradition. Si le cannelé bordelais fascine toujours autant, c’est qu’il concentre dans sa petite taille l’histoire du Sud-Ouest, la richesse d’un terroir sucré et la passion intacte de générations d’artisans.

Rien n’empêche de tenter chez soi la version authentique, et pourquoi pas, de créer sa propre tradition gourmande… canalée (et cannelée) à la bordelaise !

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